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Retracer
sa généalogie, connaître l'histoire de sa famille et
de son peuple, est important pour beaucoup d'Acadiens. Dans Pélagie-la-Charrette,
Antonine Maillet a imaginé, sous forme romanesque, le retour des
Acadiens après la déportation de 1755. Dans On revient
toujours chez soi - Cocagne, Germaine
Breau-Major a écrit l'histoire de ses ancêtres
en lui donnant la forme d'un journal intime inventé. Lorraine Létourneau,
ambitieuse, raconte dans une sorte de biographie romancée la vie
de sept femmes de sa lignée maternelle, en remontant jusqu'au dix-septième
siècle, époque à laquelle Michel Richard, dit Sans
Soucy (ou Michel l'Arrivant), arrive de France à Port-Royal et y
épouse Madeleine Blanchard en 1656. Commence ainsi le récit
de cette famille à travers huit générations (l'auteure
appartenant à la neuvième), raconté du point de vue
des femmes, avec les naissances nombreuses, les voyages, les maladies, les
enfants noyés, les mariages etc. Certaines lectrices seront probablement
rebutées par le caractère répétitif de l'ouvrage
substantiel (345 p.). Elles mettront aussi en question la représentation
par trop romantique de l'amour conjugal qui, sauf chez un seul couple, reste
passionné jusqu'à la mort. Cette passion ne convainc pas au
niveau scriptural puisqu'elle est exprimée par les mêmes formules
stéréotypées qui parsèment le texte (la quatrième
de couverture n'hésite pas à affirmer que l'auteure raconte
dans son livre «la saga de ces femmes Richard, qui ont vécu
une grande histoire d'amour où la procréation était
plus souvent l'expression de leur sensualité que l'accomplissement
du 'devoir conjugal'»).
Si l'on fait abstraction de ces faiblesses stylistiques, il reste que ce
roman à base historique réussit bien à mettre en scène
les travaux quotidiens des femmes, la vie dure de tous les jours interrompue
par la fête d'un mariage ou l'arrivée d'un membre de la parenté,
la débrouillardise des femmes pendant les nombreuses absences du
mari parti en voyage, en exploration des terres, ou en guerre. Le goût
des aventures est mis en relief par les déplacements fréquents
- de Port-Royal à Grand-Pré, aux Iles de la Madeleine, aux
Iles Saint-Pierre et Miquelon, et à l'Ile d'Anticosti - voyages d'exploration
d'une part, mais aussi entrepris par nécessité, pour trouver
d'autres terres ou de meilleures pêches, pour se cacher des Anglais
et de la menace d'être déporté. En effet, plusieurs
membres de la troisième génération (du couple Pierre
Richard dit le Pauvre et Marie Boudrot) ont connu la déportation:
l'une de leurs filles fut déportée au Connecticut, l'autre
en Louisiane, un de leurs fils à Belle-Ile-en-mer, deux autres s'installent
à Saint-Malo; Anne-Agnès Poirier, fondatrice de la quatrième
génération de par son mariage avec Joseph Richard en 1751,
fut déportée quatre fois. La partie expliquant la dispersion
des Acadiens est intéressante à lire, tandis que le récit
des diverses déportations manque de tension narrative et n'accroche
guère les lecteurs et lectrices non-acadien.ne.s qui ne sont pas
marqué.e.s par le souvenir de ce traumatisme collectif, fondateur
de l'histoire des Acadiens.
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