| Ce
livre, écrit à la première personne, contient le récit
de vie de Rosalie Boudreau, récit qui s'est d'abord fait à l'oral
comme on l'apprend dans l'avant-propos. Après avoir entendu le récit
de sa grand-mère Rosalie, Doucet Bryar l'a par la suite transposé
à l'écrit afin de sauvegarder le souvenir de cet «être
fantastique» qui a mené une «vie riche d'émotion, de
courage, de bonté; et il faut aussi dire, une vie où il y eut beaucoup
de bonheur accompagné de grands malheurs» (9).
En effet, le courage de cette femme qui a dû faire face à tant de
problèmes (voir Angelina
Arseneau, Corinne
Baker Jaillet) est remarquable, surtout d'un point de vue moderne:
les progrès de la médecine auraient probablement changé sinon
allégé le sort de Boudreau dont l'existence fut marquée par
la maladie et la mort dès un jeune âge. Sa mère morte en couches,
le reste de la famille, qui compte six enfants, est dispersé jusqu'au moment
où Rosalie peut tenir la maison à l'âge de 12 ans. À
16 ans, quand le père se remarie, elle quitte la maison pour se marier
à son tour à l'âge de 18 ans. Son premier fils étant
handicapé, elle donne son deuxième fils à sa soeur après
la mort prématurée de son mari, afin de pouvoir soigner son premier-né
tout en travaillant chez les religieuses. Elle se remarie plus tard avec un veuf
qui a déjà plusieurs enfants. La première fille du couple,
Louise, sera d'un secours inestimable pour sa mère, puisqu'elle l'aidera
avec les autres cinq enfants handicapés que Rosalie aura par la suite.
La plupart du texte est consacré à ces années difficiles
où Rosalie s'occupe de sa famille nombreuse dont six enfants demandent
des soins constants. En dépit de ces défis, Rosalie ne désespère
pas. Malgré les moments de deuil et de découragement profonds qu'elle
vit quand meurent quatre des enfants infirmes (le premier-né aura 38 ans
au moment de son décès, d'autres meurent peu après la naissance
ou après quelques mois ou années), le récit souligne plutôt
la joie suscitée par tous ses enfants, malades ou non, la musique et les
chansons qui enrichissent leur vie, l'entre-aide que se donnent les membres de
la famille et la grande foi qui soutient le couple dans toutes ces épreuves.
Au terme de sa propre vie, quand Rosalie est atteinte d'un cancer, elle trouve
les mots suivants qui ne peuvent que surprendre les lecteurs modernes dont les
attentes d'une vie réussie sont généralement fort différentes
de celles de Rosalie: «Sincèrement,
je retourne en arrière et je me rends compte que j'ai toujours été
comblée. D'abord une épouse aimée, une mère adorée,
une grand-mère comblée et une amie très respectée.
Je ne peux rien demander de plus à la vie. Ne dit-on pas que pour être
vraiment heureux il faut avoir souffert, qu'il faut avoir enrichi sa vie et celle
des autres de ses souffrances? [...] Ces êtres au corps blessé [ses
enfants], m'ont fait vivre si intensément la vie qui m'était préparée
que même encore aujourd'hui, mes yeux m'amenant tout doucement dans le noir,
je sais que leur souvenir me conduira jusqu'au bout » (145).
Vers la fin, il y a des pages qui sont moins convaincantes que le reste du récit:
la narration à la première personne est peu vraisemblable quand
Rosalie relate elle-même le paroxysme de sa maladie pendant laquelle elle
fut de «nombreuses semaines» entre la vie et la mort avant de s'en
remettre et de pouvoir quitter l'hôpital (134-37). Cette faiblesse mise
à part, il convient de souligner que ce témoignage d'une femme forte
pousse les lecteurs d'aujourd'hui à se poser des questions d'ordre éthique
importantes, même s'ils ne partagent pas les convictions, les valeurs et
la foi de Rosalie Boudreau. |