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Depuis
un certain nombre d'années s'est développé
un sous-groupe de textes autobiographiques comprenant des récits
de maladie ou de traumatisme vécus et relatés par
l'auteure. Pour l'auteure d'un tel texte, témoigner de
l'événement traumatisant qui l'a marquée
est un acte indispensable, voire libérateur, et ceci pour
plusieurs raisons: trop longtemps elle s'est déjà
sentie l'objet ou la victime d'une situation incontrôlable.
Afin de s'affirmer en tant que sujet-agent qui dirige de nouveau
sa vie, et afin d'échapper au silence imposé par
ses proches ou par la société, l'auteure ressent
la nécessité de prendre la parole, non pas toujours
pour dénoncer ou pour accuser qui que ce soit, mais pour
partager avec d'autres son sort difficile qu'elle a pu vaincre,
ne serait-ce que par la forme qu'elle a donnée à
la souffrance.
Le livre d'Arseneau est un tel témoignage du courage d'une
femme qui, entièrement soumise à la volonté
des médecins et des parents dès sa petite enfance,
s'affranchit petit à petit des limites imposées
par ses maladies et ses nombreuses opérations. À
l'âge de six ans, elle est diagnostiquée de tuberculose
et passera deux années de suite au lit à la maison,
bien isolée des autres membres de sa famille. Par la suite,
elle subira pendant trois autres années des traitements
au sanatorium, jusqu'au moment où un nouveau médecin
découvrira qu'elle n'a jamais souffert de tuberculose.
Toutefois, on lui enlève un an plus tard, à l'âge
de douze ans, une partie du poumon gauche. Elle souffre également
d'une scoliose qui, l'empêchant de grandir normalement,
la déforme, si bien qu'elle développe un complexe
d'infériorité exacerbé par les autres qui
lui font sentir qu'elle est différente (60-62, 109-111).
Malgré toutes ces difficultés et en dépit
du fait qu'elle n'est jamais allée à l'école
mais a appris à lire et à écrire au sanatorium,
elle décide de devenir couturière, bien que l'apprentissage
de ce métier demande une séparation de sa famille.
Elle réussit ainsi à se libérer des emprisonnements
dont elle souffre, soient-ils concrets ou psychologiques. Le dernier
pas vers sa libération est franchi quand elle sort du silence
dont elle a tellement souffert en tant qu'enfant, pour raconter
et ensuite écrire son histoire dans laquelle elle met en
relief son désir de pleinement «s'intégrer
à la société» (101). Un désir
reste pourtant refoulé dans le non-dit: celui d'une relation
amoureuse dans sa vie. En revanche, elle fait allusion à
la maternité qu'elle a pu vivre partiellement en aidant
sa mère à élever quelques-uns des quatorze
enfants que celle-ci avait eus et en s'occupant des enfants de
sa parenté (118). Un autre trait remarquable du récit
est le fait que celui-ci ne prend jamais un ton accusateur, mais
reste étonnamment distancié à l'égard
des nombreux malheurs qu'il relate. Dès lors, il incombe
au lecteur et à la lectrice d'inférer tout l'impact
qu'a pu avoir le diagnostic erroné sur Angelina Arseneau
dont la jeunesse fut gâchée de façon irrévocable.
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