XXXVI Mon Cheval
Je hélais un cocher de fiacre Moi, paria, Mais lui, sans nul vain simulacre, M'injuria. 5 Pâle, évoquant la catastrophe Et les tourments, Il écumait comme une strophe Des Châtiments. Il criait: Tonnerre et massacre! 10 Zut! Holà là! Monsieur veut monter dans mon fiacre! Est-il Zola? Est-il Rothschild? Est-il en nacre? Oh! ces rimeurs! 15 Il prétend monter dans mon fiacre, Tenez, j'en meurs. Tel, ce cocher plein de chimères, En son émoi, Épanchait en notes amères 20 Sa bile. Et moi, Las, rêvant d'être solitaire Sur un divan, Prêt à m'enfoncer dans la terre Comme don Juan, 25 J'admirais dans les rayons fauves Les vains rébus Que mimaient les conducteurs chauves Des omnibus. Mais dans la foule sacrilège 30 Passait par là Un cheval blanc comme la neige, Qui me parla. Et c'était le divin Pégase, Agile et sûr. 35 Il ouvrait ses ailes de gaze Jusqu'à l'azur. Oh! dit-il, toi qui tiens Golconde En tes écrins, Dédaigne leur vaine faconde. 40 Saisis mes crins! Viens, monte! et sous le bénévole Ciel estival, Je leur montrerai comme on vole, Moi, ton cheval. 45 Je suis fidèle comme Thècle En mes amours. Tu peux me prendre à l'heure, au siècle, Même, à toujours. Nous pourrons errer, groupe blême 50 Aux yeux ardents, Tout autour de la Tour, et même Grimper dedans. Et de là, par des élans brusques Et factieux, 55 Bondir effroyablement jusques Au fond des cieux. Et tirer, au fond des sublimes Gouffres vermeils, Un feu d'artifice de rimes 60 Pour les soleils! 28 mai 1889.
SONNAILLES ET CLOCHETTES -- Table des Matières
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