XXXI Névrose

Névrose tortille des fleurs, Comme une étonnante fleuriste. Avec ses prunelles en pleurs, Névrose est une dame triste. 5 Ses fureurs de Phèdre aux abois Sont dans les crimes impliquées; Elle songe aux fraîcheurs des bois Avec des amours compliquées. Ayant le Crime pour vizir, 10 Misanthrope comme un Alceste, Elle traîne son long désir De l'ode sapphique à l'inceste. En son long peignoir entr'ouvert Aussi pâle qu'une orpheline, 15 Dans un verre de cristal vert Elle boit l'absinthe opaline. Sur les horreurs de son destin, Elle gémit comme l'hyène, Et dans les plats de son festin 20 Met du picrate et du cayenne. Livrée à ses vagues tourments, Le seul plaisir qui l'éperonne, C'est de feuilleter des romans Où fleurit le mot de Cambronne. 25 Comme elle dédaigne Amadis Et tout Chérubin qui respire L'air fortifiant! -- Mais tandis Qu'elle soupire et qu'elle expire, Bien mieux informé que Dangeau, 30 Avec son regard qui fascine Apparaît le grand Tourangeau, Le bon docteur en médecine. Il lui dit, sachant l'aguerrir: Névrose gracieuse et fine, 35 Dédaigne, si tu veux guérir, L'antipyrine et la morphine. Voltige comme un papillon, Car c'est le remède efficace, Des vers endiablés de Villon 40 Aux contes joyeux de Boccace. Laisse ton cou libre dans l'air! Ote ce boa de vigogne Et, prompte comme un vif éclair, Vide un grand verre de Bourgogne. 45 Sur la colline et le ravin Ouvre ce peignoir que tu fripes. Tout en savourant le bon vin, Mange des boudins et des tripes. Et sagement, diligemment, 50 Pour voir ta douleur apaisée Donne aux lèvres de ton amant Ta bouche mille fois baisée. 19 mars 1889.

SONNAILLES ET CLOCHETTES -- Table des Matières
Retour à la page Banville