Virelai à mes éditeurs.


      Barbanchu nargue la rime!
      Je défends que l'on m'imprime!

      La gloire n'était que frime;
      Vainement pour elle on trime,
5     Car ce point est résolu.
      Il faut bien qu'on nous supprime:
      Barbanchu nargue la rime!

      Le cas enfin s'envenime.
      Le prosateur chevelu
10    Trop longtemps fut magnanime.
      Contre la lyre il s'anime,
      Et traite d'hurluberlu
      Ou d'un terme synonyme
      Quiconque ne l'a pas lu.
15    Je défends que l'on m'imprime.

      Fou, tremble qu'on ne t'abîme!
      Rimer, ce temps révolu,
      C'est courir vers un abîme,
      Barbanchu nargue la rime!

20    Tu ne vaux plus un décime!
      Car l'ennemi nous décime,
      Sur nous pose un doigt velu,
      Et, dans son chenil intime,
      Rit en vrai patte-pelu
25    De nous voir pris à sa glu.
      Malgré le monde unanime,
      Tout prodige est superflu.
      Le vulgaire dissolu
      Tient les mètres en estime:
30    Il y mord en vrai goulu!
      Bah! pour mériter la prime,
      Tu lui diras: Lanturlu!
      Je défends que l'on m'imprime.

      Molière au hasard s'escrime,
35    C'est un bouffon qui se grime;
      Dante vieilli se périme,
      Et Shakspere nous opprime!
      Que leur art jadis ait plu,
      Sur la récolte il a plu,
40    Et la foudre pour victime
      Choisit leur toit vermoulu.
      C'était un régal minime
      Que Juliette ou Monime!
      Descends de ta double cime,
45    Et, sous quelque pseudonyme,
      Fabrique une pantomime;
      Il le faut, il l'a fallu.
      Mais plus de retour sublime
      Vers Corinthe ou vers Solyme!
50    Ciseleur, brise ta lime,
      Barbanchu nargue la rime!

      Seul un réaliste exprime
      Le Beau rêche et mamelu:
      En douter serait un crime.
55    Barbanchu nargue la rime!
      Je défends que l'on m'imprime.

         Novembre 1856.

ODES FUNAMBULESQUES -- Table des Matières
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