XCIII
Adieu
Oui, j'aime, jusqu'en ses verrues,
Mon cher Paris;
De lui j'aime tout, places, rues,
Jardins fleuris;
5 Et les quais où la Seine chante,
Les jours, les soirs
Et l'âpre misère touchante
Des quartiers noirs;
Et ses boulevards gais et vagues,
10 Ce long chemin
Où ruisselle, en roulant ses vagues,
Le flot humain.
J'aime ses femmes, les duchesses
Reines du goût,
15 Et celles-là qui pour richesse
N'ont rien du tout.
J'aime ses rousses et ses blondes,
Ses clairs salons,
Ses théâtres et tous les mondes
20 Où nous allons;
La mendiante avec son triste
Accordéon,
Et la petite guitariste,
Et l'Odéon.
25 A Paris, où nul ne s'ennuie,
Rien n'est pareil;
J'admire également sa pluie
Et son soleil;
Et jusqu'à son plus mauvais livre,
30 Qui me guérit
Ou me caresse, et je m'enivre
De son esprit;
Et sans m'occuper de Wormspire
Et de Gogo,
35 Je sais que près de moi respire
Victor Hugo.
Et cependant, ô ma pensée!
Pour un moment
Tu veux t'enfuir, chaste et blessée,
40 Au firmament;
Plonger dans le gouffre du rêve
Où tout est pur,
Voir un Ange essuyer son glaive
En plein azur;
45 Oublier la terre et ses bouges
En tes réveils,
Sentir de près battre les rouges
Coeurs des soleils;
Et fuyant la ville connue
50 Et son réseau,
Te tremper dans l'eau de la nue,
O fauve oiseau!
12 mars 1884.
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