Attila
Lorsque sur le monde un barbare Passe sanglant et triomphant, Et que dans son orgueil bizarre Il se complaît comme un enfant; 5 Quand devant lui ses hordes viles En hurlant ont rasé les tours Et brûlé les maisons des villes Et mis la nappe des vautours; Lorsque ces soldats en démence 10 Ont détruit les blés et le miel, Et même jeté la semence Au caprice des vents du ciel; Quand le ravageur fraternise Avec la peste et l'Aquilon; 15 Lorsqu'il dit: Ce peuple agonise Et je le tiens sous mon talon! Les vieillards et les jeunes femmes Mourront, et les enfants aussi, Pris dans mes filets et mes trames, 20 Parce que je le veux ainsi; Alors, au milieu du dédale Des embûches et des trépas, Apparaît devant le Vandale Un être qu'il n'attendait pas! 25 Cet inconnu dans les fumées Se dresse, et d'un souffle géant Disperse les noires armées Dans les abîmes du néant! Quel est ce passant? On l'ignore, 30 Et les peuples voient seulement Qu'il porte sur son front l'aurore Et dans ses yeux le firmament. C'est un David à tête blonde, Ayant l'enfantine rougeur 35 D'une vierge, et qui de sa fronde Va lancer le caillou vengeur! C'est Jeanne, la bonne Lorraine! C'est quelqu'un dont l'éclair en feu Respecte la tête sereine, 40 Et qui vient de la part de Dieu. Mais, dis-tu, le cri des oracles Depuis plus de mille ans s'est tu Et c'en est fini des miracles! -- O chasseur d'hommes, qu'en sais-tu? 45 Ce Dieu des combats que tu vantes, Parfois, indigné dans l'azur, Pour outil de ses épouvantes Suscite quelque pâtre obscur. Il vient conduit par une étoile 50 Et vêtu de grossiers habits, Couvert d'un bleu sayon de toile Ou d'une toison de brebis; Et pour ce héros solitaire, Lorsque le moment est venu, 55 Attila n'est qu'un ver de terre Qu'il écrase de son pied nu! Novembre 1870.
IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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