Le Cuisinier
Bismarck a dit: Pour les réduire, Tous ces Parisiens que j'eus En haine, il faut les laisser cuire Jusqu'au bon moment, dans leur jus. 5 En attendant qu'il nous perfore, Notre ennemi pille Varin, Joue, emprunte sa métaphore A l'art de Brillat-Savarin, Se fait blanc comme une avalanche, 10 Et même, d'un air ingénu, Décore de la toque blanche Son crâne, ce blanc rocher nu. Donc il se fait, d'un coeur tranquille, Cuisinier. Oui. Pas de mot vain. 15 Il est cuisinier, -- comme Achille! Et, comme ce boucher divin, S'il le peut, guerrier magnanime, Jetant loin de lui son manteau, Dans la gorge de la victime 20 Il enfoncera le couteau. Il veut, ce nouveau Péliade Choisi pour forger les destins, Que les chants de son Iliade Soient coupés de larges festins! 25 Lorsque sera venu le terme Déjà fixé, la hache au flanc, Il portera d'une main ferme Le vase où doit tomber le sang. Il veut, comme on faisait en Grèce, 30 Brûlant sous le ciel radieux Les entrailles avec la graisse, En offrir la fumée aux Dieux; Il veut, lui soldat qu'on redoute, Cuirassier, général en chef, 35 Savoir quel goût, quand on les goûte, Ont les vrais Parisiens; -- bref, Il veut -- c'est le désir en somme Dont il fut toujours démangé -- Dire un jour de nous, le pauvre homme: 40 Ils étaient bons, j'en ai mangé! Novembre 1870.
IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
Retour à la page Banville