Rouge et Bleu
O République! dans leur antre Il fut des traitants rabougris Qui faisaient un dieu de leur ventre Et que le Vice avait pourris. 5 Ceux-là, pour qui les heures douces Avaient des plaisirs de haut goût, -- Les acheteurs de filles rousses Et les marchands de rien du tout, C'étaient les faiseurs de pastiches, 10 Si jolis, -- si tristement laids, Et les gentilshommes postiches: Ils sont partis! bénissons-les, Ces petits-crevés sans haleine, Sans âme et sans barbe au menton, 15 Qui riaient d'Orphée et d'Hélène Avec des Phrynés de carton! Ce qui reste dans tes murailles Où l'on ne connaît pas l'effroi, Par le sang et par les entrailles, 20 O Paris! est digne de toi. Ceux qui demeurent, sur la lèvre Ont la bataille sans merci; Et, fils de Mercier ou de Febvre Ou bien fils de Montmorency, 25 Ils ont des coeurs que rien ne glace, Et combattre est leur seul besoin. Tes fils, ô grande Populace, Et les marquis venus de loin Ont les désirs qui sont les nôtres; 30 Et Paris, qui veut tout souffrir, Voit que, les uns comme les autres, Ils savent marcher comme mourir. Le peuple, fait d'âmes stoïques, Ayant brisé son vieux lien, 35 S'envole aux trépas héroïques, Et les marquis meurent, très-bien. Ils vont où le plomb tue ou blesse, Les uns font bien, les autres mieux; Et tous, populace et noblesse, 40 Ils sont dignes de leurs aïeux! Restés sans peur et sans reproche, Jacques Bonhomme avec Roland, Amadis de Gaule et Gavroche Vont ensemble au combat hurlant, 45 Et, conquérant d'égales tombes Devant la batterie en feu, Mêlent, sous les éclats des bombes, Le sang rouge avec le sang bleu! Novembre 1870.
IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
Retour à la page Banville