Les Fontaines
Lorsque la Ville était heureuse, Les fontaines, depuis l'aurore, Disaient d'une voix amoureuse Leur chanson tremblante et sonore. 5 Leurs gais jets d'eau, sous la feuillée S'envolant en gerbes fleuries, Dans la lumière ensoleillée Éparpillaient des pierreries, Et, baignés d'une clarté blonde, 10 Leurs bassins, riant sous les grilles, Reflétaient dans leur eau profonde Les visages des belles filles. Même la nuit, quand sous la brume Paris, toujours prêt aux extases, 15 Mettait à son front qui s'allume Une parure de topazes, Leur murmure disait encore D'une voix amie et touchante: Noble Ville que l'Art décore, 20 Vis et travaille en paix: je chante! Et j'aimais jusqu'à leur silence! Mais à présent, dans les ténèbres Chacun de leurs jets d'eau s'élance En jetant des plaintes funèbres. 25 Ainsi que des démons fantasques Menant des danses illusoires, Je vois tristement dans leurs vasques Passer de vagues formes noires. De mystérieuses Chimères 30 S'y viennent ébaucher en foule, Et moi, plein de larmes amères, Je songe à tout le sang qui coule, Versé, versé comme un flot sombre Par nos batailles incertaines, -- 35 Quand j'entends s'exhaler dans l'ombre Le gémissement des fontaines. Novembre 1870.
IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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