Le Charmeur
Tandis que les jeunes Bretons Sous l'éclair du soleil oblique Passaient, et que leurs pelotons Criaient: Vive la République! 5 On m'a montré, parmi leurs flots, Dans les brumes orientales, Un sous-lieutenant de moblots Dont le regard charme les balles. Sa moustache est comme un fil d'or; 10 C'est un enfant à la main blanche, Et le ciel se reflète encor Dans sa prunelle de pervenche. Il fait beau voir ces yeux ardents Et ce jeune corps svelte et grêle. 15 Il va seul, une fleur aux dents, Où le plomb siffle comme grêle, Et les balles, dont les réseaux S'entre-croisent dans la tourmente, Voltigent, comme des oiseaux, 20 Autour de sa tête charmante Et le semblent caresser, mais Sans songer à lui faire injure Et sans même offenser jamais Les boucles de sa chevelure. 25 Les femmes l'admirent aussi; Mais bien loin d'être leur esclave, Il n'a d'elles aucun souci. Car sachez que ce jeune brave A fait un pacte avec la Mort, 30 Et cette noire enchanteresse, Dont la dent cruelle nous mord, Doit être sa seule maîtresse. Il marche au feu comme il lui plaît, Grâce à la Déesse impassible 35 Qui toujours le protège. Elle est Sa Dame, et le rend invincible. Elle aura cet amant si cher, Mais quand nos ennemis superbes, Navrés et meurtris dans leur chair, 40 Dormiront couchés sous les herbes. Car le héros, qu'avec amour Elle suit de ses yeux d'ivoire, Ne doit l'épouser que le jour De notre suprême victoire! Octobre 1870.
IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
Retour à la page Banville