Un Prussien mort
Couché par terre dans la plaine Sous une aigre bise du nord Qui le fouettait de son haleine, Nous vîmes un Prussien mort. 5 C'était un bel enfant imberbe, N'ayant pas dix-huit ans encor. Une chevelure superbe Le parait de ses anneaux d'or, Et sur son cou, séchée et mate, 10 Faisant ressortir sa pâleur, La large blessure écarlate S'ouvrait comme une rouge fleur. Il montrait son regard sans flamme, Étendant ses bras onduleux, 15 Et l'on eût dit que sa jeune âme Errait encor dans ses yeux bleus. Il dormait, le jeune barbare, Avec un doux regard ami; Un volume grec de Pindare 20 Sortait de sa poche à demi. C'était un poëte peut-être, Divin Orphée, un de tes fils, Qui pour un caprice du maître Est mort là, brisé comme un lys. 25 Ah! sans doute, au bord de la Sprée, Une belle enfant de seize ans A la chevelure dorée En versera des pleurs cuisants, Et toujours parcourant la route 30 Qu'il suivait en venant les soirs, Une mère de plus sans doute Portera de longs voiles noirs. Il est parti bien avant l'heure, Jeune et pur, sans avoir pleuré. 35 Pour quel crime faut-il qu'il meure, Cet enfant à l'oeil inspiré? Peut-être que sa mort est juste, Et ne sera qu'un accident S'il se peut que son maître auguste 40 Devienne empereur d'Occident, Et qu'en sa tragique folie, Monsieur le chancelier Bismarck Prenne d'une main l'Italie Et de l'autre le Danemark! 45 Ah! Bismarck, si tu continues, De ces beaux enfants chevelus Aux douces lèvres ingénues Bientôt il n'en restera plus! Octobre 1870.
IDYLLES PRUSSIENNES -- Table des Matières
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