Amours d'Élise
Feuillets détachés
VI
Tout vous adore, ô mon Élise,
Et quand vous priez à l'église,
Votre figure idéalise
Jusqu'à la maison du bon Dieu.
5 Votre corps charmant qui se ploie
Est comme un cantique de joie,
Et, frémissant d'amour, envoie
Son parfum de femme au saint lieu.
Votre missel a sur ses pages
10 Bien des gracieuses images,
Bien des ornements d'or, ouvrages
D'un grand mosaïste inconnu;
Et fier de vous faire une chaîne,
Votre chapelet noir qui traîne
15 Redit son madrigal d'ébène
Aux blancheurs de votre bras nu.
Comme un troupeau leste et vorace,
On voit s'élancer sur la trace
De vos chevaux de noble race
20 Mille amants, le coeur aux abois;
Derrière vous marche la foule,
Mugissante comme la houle,
Et dont le chuchotement roule
A travers les détours du bois.
25 Vous avez de tremblantes gazes,
Des diamants et des topazes
A replonger dans leurs extases
Les aladins expatriés,
Et des cercles de blonds Clitandres
30 Dont le coeur brûlant sous les cendres
Vous redit en fadaises tendres
Des souffrances dont vous riez.
Vous avez de blondes servantes
Aux larges prunelles ardentes,
35 Aux chevelures débordantes
Pour essuyer vos blanches mains;
Vous portez les bonheurs en gerbe,
Et sous votre talon superbe
Mille fleurs s'éveillent dans l'herbe
40 Afin d'embaumer vos chemins.
Moi, je suis un jeune poëte
Dont la rêverie inquiète
N'a jamais connu d'autre fête
Que l'azur et le lys en fleur.
45 Je n'ai pour trésor que ma plume
Et ce coeur broyé, qui s'allume,
Comme le fer rouge à l'enclume,
Sous le lourd marteau du malheur.
Mon âme était comme cette onde
50 Pleine d'amertume, qui gronde
En son délire, et dont la sonde
N'a jamais pu trouver le fond;
Comme ce flot qu'un sable aride
Absorbe de sa bouche avide,
55 Et qui cherche à combler le vide
D'un abîme vaste et profond.
Et pourtant vous, type suprême,
Vous m'avez dit tout haut: Je t'aime!
Vous m'avez couché morne et blême
60 Sur un beau lit de volupté;
Vous avez rafraîchi ma lèvre,
Encor toute chaude de fièvre,
Dans le doux vin pour qui l'orfèvre
Poétise un cachot sculpté.
65 Dans vos colères de tigresse,
Vous m'avait fait des nuits d'ivresse
Où le plaisir, sous la caresse,
Pleure le râle de la mort,
Où toute pudeur se profane,
70 Où l'ange le plus diaphane
Se fait bacchante et courtisane
Et grince des dents, et vous mord!
Puis vous m'avez dit à l'oreille
Quelque étincelante merveille
75 Dont la mélancolie éveille
Les fibres de l'être endormi;
Vous aviez la pudeur craintive
De la mourante sensitive
Qui renferme son coeur, plaintive
80 De n'être morte qu'à demi.
Et le doute railleur m'assiège
Lorsque, pris dans un divin piège,
Mon cou plus pâle que la neige
Est par vos bras blancs enlacé.
85 J'ai peur que le riant mensonge
Du lac d'azur où je me plonge
Ne soit l'illusion d'un songe
Qui tenaille mon front glacé.
Or, dites-moi, rêve céleste,
90 Pour que votre belle âme reste
En proie à mon amour funeste,
Les crimes que vous expiez?
Parlez-moi, pour que je devine
De quel feu bout votre poitrine,
95 Et quelle colère divine
Vous met pantelante à mes pieds?
Avez-vous surpris chez les anges
Le secret des strophes étranges
Qu'ils murmurent, quand leurs phalanges
100 S'envolent dans les airs subtils?
Au Vatican, sur une toile,
Avez-vous dérobé l'étoile
Qu'une sainte paupière voile
Avec un réseau de longs cils?
105 O vous que la lumière adore,
De quel astre et de quelle aurore
Venez-vous, radieuse encore?
Je ne sais; en vain, ce trompeur,
L'espoir, me caresse et me blâme;
110 Je ne sais quel souffle en votre âme
Alluma cette mer de flamme,
O jeune déesse, et j'ai peur.
TABLE -- Table des Matières
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